Le Guide du Shochu
Voici une boisson ultrapopulaire au Japon et qui reste pourtant assez méconnue en France. Originaire de Kyushu, son histoire, la manière dont elle est produite, et sa versatilité en termes de modes de consommation en font un sujet très intéressant à creuser. C’est ce que nous vous proposons de faire dans cette communication.
ORIGINE ET HISTOIRE DU SHOCHU
et de la distillation au Japon
Le shochu, que l’on pourrait traduire littéralement par « alcool cuit » est une boisson alcoolisée du Sud du Japon titrant aux alentours de 25 degrés et produite à partir de différents ingrédients dont les plus communs sont la patate douce, l’orge et le riz. Ceux-ci sont mis en fermentation, puis distillés pour obtenir un spiritueux à la fois typé et raffiné.
Les premières références écrites au shochu remonteraient au 16ème siècle. Elles nous parviennent du missionnaire jésuite espagnol Francisco Javier qui tentait alors d'évangéliser Kyūshū. Mais les origines du shochu sont à chercher aux alentours du 14 et 15ème siècle, moment où les techniques de distillation venues du Moyen-Orient commencent à arriver sur les iles principales et notamment Kyūshū, via le Royaume du Ryukyu dont l’archipel d’Okinawa faisait partie. C’est l’un des premiers endroits de l’actuel territoire japonais à mettre en place la production d’un alcool distillé à partir de riz long appelé "Awamori", sorte de forme primitive de shochu. D’autres sources situent quant à elles l’apparition du shochu sur l’ile d’Iki, à l’ouest de Kyūshū, endroit où l’on aurait distillé pour la première fois des céréales grâce aux techniques venues du continent chinois via la Corée.
Si son apparition fait débat, il n’en demeure pas moins que les techniques de production ont largement et rapidement voyagé à travers tout l’archipel, s’améliorant considérablement pendant l'ère Meiji.
Bien que la tradition soit ancrée au sud, le shochu est aujourd’hui incroyablement populaire au Japon avec une production et une consommation répandue sur l'ensemble du territoire. Son succès est lié à la diversité des saveurs et à la polyvalence qu’il est capable d’offrir en termes de dégustation, pouvant être apprécié seul, avec les repas ou comme ingrédient dans des cocktails.
LES DIFFERENTS TYPES DE SHOCHU
Un lien avec les régions
Le type de shochu est déterminé en fonction de l’ingrédient principal utilisé dans son élaboration, chacun conférant des saveurs distinctes. Il est important de noter dès maintenant que la fermentation commence toujours avec du riz, suivi de l'ingrédient principal.
Les principaux ingrédients et leurs régions d'origine :
- Imo shochu (Imojochu 53%) : produit à partir de patate douce, répandu à Kagoshima et Miyazaki.
- Mugi shochu (38%) : à base d'orge, retrouvé à Oita et Nagasaki.
- Kome shochu (Komejochu 4%) : à partir de riz, typique de Kumamoto.
Ces trois ingrédients réunis représentent à l’heure actuelle plus de 95% des shochus produits au Japon. Les autres se partagent les 5% restants.
Plus rarement, le shochu peut être élaboré à partir d'autres ingrédients selon les disponibilités locales :
- Soba shochu : produit à base de Sarrasin, notamment présent à Miyazaki et Nagano.
- Kokuto shochu (Kokutojochu) : sucre de canne non raffiné, principalement produit à Okinawa.
- Kuri shochu : à base de châtaigne.
- Kasutori shochu : à base de lie de saké, aussi appelée sake kasu. On le retrouve un peu partout au Japon car il est souvent distillé au sein même des brasseries de saké.
LE PROCESSUS DE PRODUCTION
Le shochu en quelques étapes
Préparation des ingrédients
L'étape initiale consiste à préparer l'ingrédient principal. Si la patate douce est choisie, celle-ci est préalablement nettoyée et épluchée. Si c’est du riz, il s'agira généralement de riz rond poli à 90% environ. Si l'orge est sélectionnée, elle est d'abord décortiquée, conservant environ 60% de son poids initial. Cet ingrédient peut ensuite être cuit ou traité de manière adaptée pour faciliter la fermentation.
Fermentations
1. Ichiji Shikomi : c’est une première fermentation qui contient uniquement du koji*, de l’eau et des levures. Elle a pour but de générer une population de levures suffisamment large et active pour passer à la deuxième étape.
*Le Koji désigne le riz cuit à la vapeur sur lequel s’est développé le koji kin, un champignon microscopique de type Aspergillus Oryzae. Celui-ci il permet la transformation de l’amidon du riz en sucres capables d’être fermentés par les levures.
2. Niji Shikomi : lorsque la population de levure est suffisamment robuste et active, on déplace le starter dans une cuve plus large dans laquelle est ajouté l’ingrédient principal. La durée de cette étape peut varier de quelques jours à plusieurs semaines, selon le type de shochu et les préférences du producteur.
Le koji utilisé pour la production aura un impact non négligeable sur le profil aromatique :
- Koji blanc (shiro koji) : arômes raffinés, shochu propre et droit.
- Koji Jaune (Ki koji) : arômes fruités, shochu aromatique.
- Koji noir (kuro koji) : aromes rustiques, shochu puissant.
Nous avons deux exemples typiques de ce genre d’expériences au sein des distilleries de Nishishuzo et Omoya Shuzo qui, sur une même base d’ingrédients (patate douce ou orge) font varier les koji (voir nos propositions).
Distillation
Une fois la fermentation achevée, le processus de distillation débute et le producteur a la possibilité de produire deux types distincts de shochu selon la méthode et l’instrument choisi :
- Le Honkaku shochu : une distillation en alambic traditionnel de la région ou, de plus en plus, en pot still. C’est généralement une simple distillation qui permet de préserver pleinement la richesse et les arômes caractéristiques des ingrédients de base.
- Le shochu Korui : une distillation continue, c’est-à-dire un mécanisme de distillation unique répété à l’intérieur de la machine. Cette méthode présente l’inconvénient de réduire la complexité des arômes.
Stockage et maturation
Le shochu est classiquement maturé pendant un à trois mois dans des fûts de bois, dans des cuves en inox émaillées ou, bien plus traditionnellement, dans des jarres de terre cuite appelées « kame ». L’idée est d’arrondir sa perception en bouche et de permettre le développement de saveurs complexes et d’arômes riches.
Dilution
Avant la mise en bouteille, le niveau d’alcool du shochu est ajusté avec l’ajout final d’eau et est amené aux alentours de 25%. Le shochu dans sa forme la plus classique est prêt à être consommé.
Cas particuliers : shochu non réduit et/ou âgé
Certains shochus se distinguent par le fait qu’ils n’ont pas été dilués en fin de production. Lorsqu’ils atteignent plus de 36% d’alcool, on utilise le terme de "Genshu". Ils offrent des saveurs intenses et un caractère robuste.
Le shochu peut entrer dans un processus de vieillissement prolongé en fûts ou en jarres. Il exprime alors des arômes subtils et des saveurs boisées, épicées ou fruitées selon le milieu et la durée de vieillissement. Cela ajoute profondeur et complexité. D’un point de vue de la règlementation japonaise, un "Choki chozoshu" est un shochu qui doit être composé au minimum de 50% de shochu âgé plus de 3 ans.
MODES DE CONSOMMATION
de la table au cocktail
En accords, bien que son titrage en alcool (25°) ne soit pas habituel chez nous, le shochu se consomme classiquement pendant le repas. Pour en savourer la complexité, nous vous recommandons de le déguster pur, éventuellement sur glace avec une rondelle de citron.
Il est tout à fait possible et d’ailleurs traditionnel au Japon de l'allonger avec de l'eau chaude (oyuwari) ou froide (mizuari). Ceci permet de réduire son niveau d’alcool et moduler son intensité.
Le shochu se marie avec une infinité de préparations culinaires et son type déterminera directement les accords. Si l’on imagine des choses classiques en France, un imo shochu (patate douce) ira parfaitement avec du jambon cru ou une côte de porc grillée, alors qu’un kome shochu (riz) sera plus délicat et accompagnera volontiers les poissons blancs, les fruits de mer.
Pour ceux d’entre vous qui ont eu la chance de visiter le Japon, vous avez certainement fréquenté les Izakaya dans lesquels le shochu vous a été servi accompagné de délicieux "o-tsumamis" ou de "sake no sakana". Peut-être même servi avec une prune umeboshi !
En cocktail, l’aromatique si particulière du shochu en fait un parfait candidat pour l’élaboration de cocktails originaux. Nombre de mixologues l’utilisent déjà dans leurs créations et nous avons choisi deux exemples :
"Agrume"
Un accord parfait 3 agrumes, mélangeant amertume et douceur, relevé par la feuille de Pandan. Une recette exclusive imaginée par Gérard Margeon Chef Sommelier Exécutif de Alain Ducasse Paris pour le Bar 228 de l’Hôtel Meurice.
1 cl Jus de citron filtré
2 cl Liqueur d’orange, l'Orangerie de la Distillerie de Monaco
1 cl Jus d’orange filtré
1 cl Kombucha - Feuille de Pandan
4 cl De shochu Alain Ducasse Sustainable Spirit
Frapper tous les ingrédients dans un shaker puis verser dans un verre old fashioned contenant un glaçon sphérique.
"Shochu Martini"
4.5cl Gin Kanoshizuku
2.5cl Kiccho Houzan Imo Shochu
Ajouter le Gin et le Shochu dans un verre à mélange rempli de glaçons, remuer, puis verser dans un verre à Martini et garnir d'olives.
Il y aurait encore beaucoup de choses à dire sur le shochu, mais nous arrivons au terme de cette brève escapade. Nous espérons qu’elle vous aura donné envie de découvrir cette tradition multiséculaire du Sud du Japon !
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