Sakés de Saga

Nous partons pour la Préfecture de Saga, au Sud-ouest du Japon, une région productrice de saké encore peu connue en France et pourtant, avec une trentaine de brasseries actives et un style bien marqué, elle mérite vraiment notre attention ! Après une visite rapide de la Préfecture, nous prendrons l'avis de quatre brasseurs que nous avons interrogé sur le profil général des sakés de Saga, ainsi que sur leur propre style, bien entendu. 

Sakes de Saga, rizières en terrasses
Les rizières en terrasses de Hamanoura no Tanada et de Oura no Tanada sont incontournables. Elles comptent parmi les plus beaux et paisibles endroits de Saga. Les couchers de soleil au printemps y sont à couper le souffle.

LA PREFECTURE DE SAGA
Située à neuf cent kilomètres à l'Ouest de Tokyo, Saga est l'une des huit préfectures de l'île de Kyushu. Son peuplement remonterait à plus de 2000 ans avant notre ère, la région représentant un foyer idéal pour l’installation d’une communauté humaine grâce des ressources naturelles généreuses, un climat agréable, et des paysages variés : la mer borde le territoire au nord et au sud, les montagnes sont peu élevées et de vastes plaines fertiles constituent un espace parfait pour le développement de l’agriculture. Aujourd’hui, la population compte 830 000 habitants, répartis pour moitié dans la capitale et ses alentours, et, pour l'autre moitié, dans de petites villes et villages. Sa position géographique à l’extrémité occidentale du territoire japonais a favorisé les échanges avec les pays voisins, contribuant ainsi à l’essor de la région. Aux 16ème et 17ème siècles par exemple, l’importation de techniques de poterie venues de Corée et de Chine a conduit à l’apparition des célèbres porcelaines d'Arita dont nous avions évoqué l’existence dans un précédent article.

Porcelaines d'Arita, préfecture de Saga
La production de porcelaine d'Arita commence aux16ème siècle. Dès le 17ème, elles se font connaître en Europe grâce aux marchands néerlandais.

Sa position géographique à l’extrémité occidentale du territoire japonais a favorisé les échanges avec les pays voisins, contribuant ainsi à l’essor de la région. Aux 16ème et 17ème siècles par exemple, l’importation de techniques de poterie venues de Corée et de Chine a conduit à l’apparition des célèbres porcelaines d'Arita dont nous avions évoqué l’existence dans une précédente communication. Le 16ème siècle est également marqué par l’introduction des alambics venus du Moyen-Orient, via le Royaume du Ryukyu (Okinawa). Ces techniques nouvelles permirent l'émergence d’une boisson alcoolisée qui règne aujourd’hui en maître sur l’île, le Shochu. Mais avec une trentaine de brasseries recensées, Saga est considérée comme une préfecture majeure pour la production de saké à Kyushu.

La visite de la préfecture commence immanquablement par le site doublement millénaire de Yoshinogari qui s’étend sur plus de 40 hectares pour le village central, auquel s’ajoutent 117 ha de parc historique aux alentours. Il correspond au plus grand complexe de sites archéologiques de la période Yayoi. Une grande quantité d’objets ont été retrouvés sur place, témoignage d’une activité intense.

Un bond dans le temps nous emmène au château de Saga. Edifié au début du 17ème siècle, il est de style hiraijirô, car bâti en plaine et non pas sur une colline, et entouré par un mur et non pas surélevé sur des fondations de pierre. Les sanctuaires sont également atypiques et méritent le détour, preuve en est celui de Ouo-Jinja et les "Kaichu Torii", les toriis dans la mer d'Ariake.
Sakés de Saga, Kaichu Tori, portes immergées

QUATRE BRASSERIES A DECOUVRIR
Nous vous proposons de visiter quatre brasseries artisanales que nous sommes heureux de référencer dans notre offre : Amabuki, Komatsu, Setou et Yano Shuzo. Voici leur localisation sur le territoire de la Préfecture de Saga. Nous avons demandé à chacun des producteurs de nous parler du style de Saga et de ce qui le rend si particulier.
carte de la préfecture de saga au japon avec localisation des brasseries

BRASSERIE DE SETOU SHUZO
Elle fut fondée sous le nom Maruhei Masamune à la fin du 18ème sièclepar Tajibei Setou. C’est à partir de 1920 que l’un de leur produit devint ultra connu dans la région : le saké Azumacho dont le nom fut donné par le Premier ministre japonais de l’époque. En 1929, Azumacho devient le saké officiel de la Maison Impériale de l’Empereur Showa. Les sakés de Setou Shuzo : Azumacho JunmaïAzumacho Junmaï Ginjo

Heiji Setou, propriétaire de Setou Shuzo
"Pendant la période Edo, le Daimyo Naomasa Nabeshima a fortement encouragé l’agriculture. La terre et le climat de Saga étant bons, les récoltes de riz furent suffisamment abondantes pour nourrir la population, mais aussi pour générer d’importants volumes de saké. Le fait que Saga soit bordée par la mer d’Ariake au sud, une mer qui présente de forts coefficients de marée, a grandement facilité les échanges par voie maritime et nous a permis très tôt d’exporter nos sakés.
Heiji Setou, proprietaire de la brasserie de saké japonais de Setou Shuzo
Je suis convaincu, et certaines études le montrent, que les habitants de nos régions plus chaudes préfèrent les choses douces. Cela a contribué à donner le style "Hojun Umakuchi" aux sakés de Saga, des sakés riches et savoureux. Nous sommes dans ce courant car nous produisons des sakés fruités, avec un umami bien présent. Nous avons un Kasubuaï* moyen élevé car nous n'insistons pas sur la presse du moromi. Ceci nous permet d’obtenir des sakés savoureux, riches et avec un finish net."

(*Le Kasubuaï est la proportion de Kasu (pâte re riz résultant de la presse), restant après la filtration, par rapport au volume du moromi. Si la presse est légère, le Kasubuaï est élevé et les aromes du saké sont alors plus élégants).

BRASSERIE DE YANO SHUZO
Yano Shuzo est installée dans la ville de Kashima, au sud de Saga. Une micro-brasserie récemment reprise par la nouvelle génération, la 8ème depuis sa fondation. Leur mission est de perpétuer deux siècles d'un travail remarquable, basé sur la recherche de saveurs innovantes et l'amélioration constante de la qualité du saké. Les Sakés de Yano Shuzo : Kurakokoro Tokubetsu JunmaïKuragokoro Junmaï Ginjo

M Motohide Yano, propriétaire et Toji de Yano Shuzo
"Saga est aujourd'hui reconnue en tant que région de saké, mais je ne suis pas certain que le saké ait toujours été bon ici. Je pense qu’avec les températures élevées, le riz était finalement trop facile à liquéfier et la fermentation pas aussi aboutie que dans les régions plus froides. Mais cela a beaucoup évolué au fil du temps car, chose rare dans le monde du saké où chacun préfère garder ses secrets, nous échangeons beaucoup entre Toji et Kurabito de la région. Le but étant d’améliorer la qualité.
M Motohide, propriétaire de la brasseire de saké japonais de Yano Shuzo
Les sakés de Saga sont riches et plutôt amakuchi, doux et avec de l’umami. Les personnes ici aiment les choses sucrées comme notre fameux ogiyoukan, un gâteau de haricot très doux, ou les poissons des lagunes préparés avec de la sauce soja et du sucre. Pour aller avec ce type de nourriture, le saké a besoin d’être riche, savoureux, puissant. C’est cela le style de Saga.
A la brasserie, le fait de ne pas avoir de pic de froid marqué pendant l’hiver nous permet de conduire des fermentations sans interruption, ce qui favorise la production de sakés avec un bon umami. Et comme ces hivers sont secs, les préparations de koji sont d'excellente qualité. Mais produire du saké, c’est mettre en adéquation le travail des hommes et des microorganismes dans les meilleures conditions possibles. Tout en nous inscrivant dans le style de Saga, nous laissons carte blanche à nos employés afin qu’ils s'engagent sans cesse dans de nouveaux challenges innovants."

BRASSERIE DE AMABUKI SHUZO
Elle est installée aux pieds de la montagne Amabukiyama, d’où son nom. Fondée pendant la période Genroku (1688 - 1704), elle est spécialisée dans l’extraction et l’utilisation de levures issues de fleurs. Le riz est cultivé exclusivement dans la plaine de Saga et l'eau provient de la montagne Sefuri voisine. Les sakés de Amabuki Shuzo : Amabuki Yamahai JunmaiAmabuki Kimoto Junmai DaiginjoAmabuki Ichigo Kobo Nama

M Hosokawa, propriétaire de Amabuki Shuzo
"Nous avons la chance de disposer d’une eau de grande qualité sur tout le territoire de la préfecture, grâce aux montagnes Sefuri au Nord, et Tara au Sud. Et comme chacun sait, l’eau est un élément essentiel pour la qualité du saké. Mais ce qui fait de Saga une région particulière, c’est surtout son climat : les températures y sont plus élevées que celles des autres régions et cela a un impact considérable sur la production de saké. Des températures élevées permettent un travail plus efficace des levures et donc un riz qui se liquéfie facilement. Au final, ce sont des sakés avec davantage d’umami et de douceur qui correspondent au style local.
M Hosokawa, propriétaire de la brasserie de saké japonais de Amabuki Shuzo
A Amabuki Shuzo, nous utilisons des levures issues de fleurs (ou "hanakobo"), ce qui nous permet d’obtenir des sakés avec un vaste éventail d’arômes. On imagine assez logiquement que les hanakobo vont conduire à l’expression de notes florales. C’est vrai, mais ce n’est pas tout. Elles ont la capacité de donner aux sakés des aromes très variés, des sakés qui correspondent aux attentes d’un large public, du débutant jusqu'à l’expert. Et c'est d'ailleurs ce que nous recherchons, procurer du plaisir et du réconfort au plus grand nombre. Nous pratiquons le Kôon-toka qui est une façon rapide de préparer le starter de fermentation, à haute température*. C'est une option technique spécifique aux régions du sud car elle permet d'éviter les contaminations par d’autres levures ou bactéries indésirables et permet surtout de mettre en place une population de levures issues de fleurs stables et efficaces."
(* le Kôon Toka prend 5 à 7 heures à 55°C, à comparer à ce qui se fait dans la méthode plus classique du Sokujo, deux semaines environ à 20°C, ou encore 1 mois pour la méthode Kimoto).

BRASSERIE DE KOMATSU SHUZO
Fondée à la fin de la période Edo, Komatsu Shuzo est située au nord-ouest de la Préfecture de Saga. Au cœur d’un environnement naturel généreux, cette micro-brasserie travaille toujours selon des méthodes entièrement artisanales et les volumes qui en sortent sont ultra-limités. Les sakés de Komatsu Shuzo : Manrei Nozomi Junmaï GinjoNomirinko

Daisuke Komatsu, propriétaire et Toji de Komatsu Shuzo
"A Saga, le monde du saké est composé de travailleurs jeunes, très actifs et vraiment passionnés. Nous tous avons conscience qu’il est important de s’entraider et de partager nos connaissances pour améliorer sans cesse la qualité de nos sakés. Concernant le style des sakés de Saga, on est sur des sakés riches, plutôt doux, et savoureux. A mon avis, il s’est imposé parce qu’il correspond aux préférences gustatives de la population locale et il y a une raison historique à cela, c’est l’histoire du sucre au Japon. Il faut savoir que, pendant la période Edo, le sucre était importé via le port de Nagasaki, alors géré par les hollandais. La route du sucre (Nagasaki Kaido) traversait toute la préfecture de Saga avant de prendre la mer pour alimenter la capitale Edo. Les habitants de la région avaient donc facilement accès à cette denrée qui était à l’époque considérée comme un luxe et ont forgé leurs palais dans ce contexte.
M Komatsu, propriétaire de la brasserie de saké japonais de Komatsu Shuzo
Ce style correspond aussi au style de vie de la région. Avec une proportion importante du territoire exploitée pour l'agriculture, le travail est très physique pour la population qui, en fin de journée, trouvait le réconfort nécessaire dans la consommation de sakés riches, presque nourrissants. Notre style est un saké que l’on peut boire lentement durant le repas, un saké que l’on peut laisser maturer. Nos sakés présentent généralement un nez discret et joliment parfumé et, sans que ce soit une contrainte, nous essayons de diminuer légèrement la douceur tout en gardant pleinement les arômes."